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Beethoven plane sur le 19ème siècle et Scriabine sur les écoles progressistes en Russie. Cette omniprésence est due à l’obsession irrésistible créée chez Brahms, Schumann par Beethoven et Roslavets et Wychnegradsky par Scriabine. Schumann maîtrisait à l’instar de Beethoven la concision thématique et désirait sa maîtrise de la grande forme. Brahms lui avait la maîtrise de la grande forme et a su reprendre une éloquence harmonique. Ivan Wyschnegradsky s’inspira des recherches sur le chromatisme qui régnaient sur le modernisme musical dont Scriabine fut le porte-parole, et il s’aventura pour ainsi dire entre les notes. Roslavets suit une trajectoire interrompue par les circonstances politiques des années 30 en Russie mais dans sa “Légende” fait preuve d’une  grande maîtrise tonale et formelle qui mêle les mélodies vénéneuses d’un Scriabine avec une éloquence décadente, un souffle brûlant…

PROGRAMME

Robert Schumann: Première sonate pour violon et piano en la mineur, Op.105 (1851).
A la suggestion de Mendelssohn afin qu’il s'”académise”, Schumann décide en 1840 de composer de la musique de forme classique – quatuors et symphonies. Puis suivront les œuvres romantiques que l’on connaît. Ce n’est que, onze ans plus tard, à la suite d’une profonde crise, qu’il se remet au modèle classique avec cette ombrageuse sonate, et ce retour sonne comme un abandon. L’ombre du classicisme et surtout de Beethoven – celui de l’Appassionata – rode dans la douceur féerique du mouvement lent, et dans l’insatiable mouvement perpétuel du dernier. Schumann lutte entre ses propres penchants pour l’évocation courte d’un texte ou d’une idée extramusicale, et le travail compositionnel, le combat musical dont la forme sonate doit être l’arène.

Nikolay Roslavets (1881-1944): Légende (1930).
Penseur et créateur, à la pointe du modernisme russe des années 1910, le style de Roslavets emprunte très tôt celui de Scriabine, avant de recevoir le sobriquet de “Schoenberg russe”, pour son travail théorique. Il a en effet créé un système harmonique mêlant les trouvailles de ses deux modèles – modèles contre son gré. Après une période créatrice où la complexité du motif n’a d’égale que la superposition rythmique, il retourne, à la suite de la révolution bolchevique, à la tonalité et à l’héritage romantique, à l’âge de 50 ans. La Légende est une de ces oeuvres, d’une grande maîtrise tonale et formelle qui mêle les mélodies vénéneuses d’un Scriabine avec une éloquence décadente, un souffle brulant.

Entracte

Ivan Wyschnegradsky (1893-1979). Chant douloureux et Étude Op.6 (1918).
Tout aussi théoricien que son ami Roslavets, tout aussi féru de Scriabine et de mysticisme, lui aussi créa son “système” musical, basé sur les capacités de l’oreille. Ivan Wyschnegradsky s’inspira des recherches sur le chromatisme qui régnaient sur le modernisme musical, et il s’aventura pour ainsi dire entre les notes. Il fut pionnier de la micro-tonalité, reprenant le flambeau du Mysterium inachevé de Scriabine. Énormément productif, chacune de ses œuvres va plus loin dans cette recherche de sonorités tangentes, d’émotions secrètes, que la musique chromatique ne savait déceler. Ce chant douloureux mérite bien son nom : la désinence, la courbe que provoque un quart ou un sixième de ton offre de nouvelles consonances à l’harmonie, et fait vibrer des cordes inouïes du corps humain… Trop rarement joué, l’on doit pourtant au compositeur russe Ivan
Wyschnegradsky des expériences musicales bouleversantes. Le Chant Douloureux et l’Etude ont suivi le tourment de la révolution de 1917, et la prise de conscience mystique dont il est le témoin et l’auteur, qui ont conduit à la composition de deux de ses oeuvres emblématiques, la Journée de l’Existence et l’Evangile Rouge. De dimensions plus discrètes, les deux pièces pour violon et piano suivent chronologiquement ces dernières et marquent par la très forte influence des dernières oeuvres de Scriabine, tout en restant plus tonalement orientées. En effet, la souplesse de leur structure, et l’unicité de ton et de progression partagent une atmosphère d’extase grandissante. Chargé, riveté d’intervalles ultrachromatiques (le mot est de Wyschnegradsky), le Chant
douloureux évoque une eau stagnante, à peine éveillée par l’éclat extérieur du Soleil. Il est suivi de l’Etude, qui n’est qu’ornements et arabesques.

Johannes Brahms (1833-1897), Sonate N.3 en ré mineur pour violon et piano Op.108 (1888)
Voilà l’autre versant de l’oppression de Beethoven sur le siècle romantique. Apres Schumann le torturé, dont la folie lui donna acuité et vérité à travers la brachylogie, aux luttes avec la grandeur d’idées, lœuvre réalisant une totalité, nous avons Brahms. Vie heureuse, débordante de paroles, de naturel. Mais bien vite Brahms a goûté à l’exigence, l’ultimatum qu’est de vivre après Beethoven – il attendit 42 ans avant de sortir sa première Symphonie. Le domaine de la musique de chambre resta vierge de ses frayeurs, son ton étant fluide, poétique, presque insouciant, généreux. Cette 3e sonate ouvre le bal des dernières oeuvres : son ton est plus sombre, plus ambigu, l’émotion est intransigeante, presque étouffée, l’ire latente, la larme se mêle à la consolation. Cette oeuvre se déchaine, un Prométhée, égal aux Dieux.

Les interprètes

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Léo Marillier, est invité comme soliste dès l’âge de 13 ans par le Wiener Concert-Verein, le Danish National Youth Orchestra, LOH Orchestra, le Klaipeda Chamber Orchestra, Eureka Orchestra
l’Orchestre Symphonique InterUniversitaire de Paris et remporte le Premier Prix et Prix spécial Mozart 8ème Concours Dvarionas, Prix d’Honneur Concours Bellan, Premier Prix Concours
Marschner, et lauréat le plus jeune du Concours Tchaïkovski pour jeunes musiciens, son talent est soutenu par le FIF, MMSG et depuis 2014 par la Fondation franco-américaine Florence Gould.
Il bénéficie actuellement d’une résidence à la Fondation des Etats-Unis. A son actif, de nombreux récitals à Jordan Hall, Lincoln Center, l’Oratoire du Louvre, Gyeonggi Arts Center, Utopia Hall,
Centre National des Arts d’Ottawa, l’Hôtel de Soubise…Soliste invité de plusieurs festivals tels le 61ème Festival de Menton, il a intégré à 15 ans le CNSMDP d’où il est sorti en 2013 premier
nommé de sa promotion. Se perfectionnant dans le très sélectif studio de Miriam Fried, il obtient son Master au New England Conservatory avec les meilleures récompenses. Il reçoit régulièrement des conseils de Alexis Galpérine et Stephane Tran Ngoc. Son premier disque « Fantaisies d’Opéra » paru en 2014 rassemble certaines de ses transcriptions éditées chez Delatour, et jouées au Club de Harvard en 2015. En 2016, sa première composition “Résurgences” a été créée à la Maison de la
Radio. Léo joue actuellement un violon Nicolas Lupot (1811) prêté par un mécène anonyme et un archet prêté par l’Atelier Sandrine Raffin.

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Au croisement des écoles françaises et slaves, Antoine de Grolée remporte en 2007 le 5ème Prix du concours Long-Thibaud. Anne Queffélec décrit ainsi son jeu : “Authenticité, présence, passion”. Lauréat de la Fondation Banque Populaire, de la fondation Charles Oulmont et du prix international ProMusicis, il est également 1er Prix du concours Teresa Llacuna en 2005.
Soliste invité dans de grands festivals tels que la Roque d’Anthéron, Menton ou Classique au Vert, il joue en concerto avec l’Orchestre Philharmonique de Sofia, l’Orchestre de chambre de Moldavie, l’Orchestre de l’Opéra de Varsovie… Chambriste passionné, il est membre fondateur de l’Ensemble
Gustave et forme un duo avec la violoniste Hildegarde Fesneau. Diffusé sur Medici.tv et sur France Musique, il est désigné, lors de l’émission «Dans la cour des grands » de Gaëlle Le Gallic, « coup
de coeur des auditeurs ». Après leur rencontre au Festival des Arcs en 2013, Antoine et Léo partagent régulièrement la scène notamment lors du concert commémoratif “1945-2015 : Fin de la
barbarie” qu’ils donnent aux Après-Midi de Saint-Loup et à l’Amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne. On les a récemment entendus également lors du récital “Les deux Ecoles de Vienne”
au Château de la Petite Malmaison.

Les compositeurs

Nicolas Roslavets

Nikolaï Andreïevitch Roslavets (Никола́й Андре́евич Ро́славец) né le 4 janvier 1881 à Sourgi dans l’actuelle oblast de Briansk, il est mort le 23 août 1944 à Moscou, est un compositeur moderniste soviètique . Dans les années 1910, ses compositions sont publiées dans des journaux futuristes russes. Après la Révolution de 1917, il est considéré comme un des artistes les plus influents. Il devient professeur de violon et de composition à Kharkov et à Moscou. Il crée un nouveau système d’organisation tonale, et s’intéresse particulièrement aux travaux d’ Arnold Schönberg. Son opposition aux “Musiciens prolétariens” soviétiques lui vaut d’être accusé d’être un contre-révolutionnaire et un trotskyste. Sa musique fut officiellement condamnée en 1930. On peut compter parmi ses œuvres cinq Poèmes symphoniques (dont trois sont perdus), deux concertos pour violon, cinq quatuor à cordes, deux sonates pour alto, deux sonates pour violoncelle, six sonates pour violon et cinq trios avec piano

Roslavets entre au conservatoire de Moscou en 1902 à l’âge de vingt et un ans pour en ressortir dix ans plus tard. Entre-temps, on lui décerne une médaille d’argent pour sa cantate « Ciel et Terre », une œuvre composée sur un texte de Lord Byron . Les pièces datées de cette époque présentent – tant dans leur orchestration que dans leur structure monothématique – des résonances scriabiniennes. À sa sortie du conservatoire, il déclarera que l’enseignement qui y est prodigué lui parait inapte à exprimer « un Moi intérieur rêvant d’univers sonores nouveaux, non encore entendus ». En vérité, Roslavets pense avoir trouvé une succession au système tonal. Il souhaite mettre au point un procédé, proche des théories que  Schönberg formulera ultérieurement, qui serait « appelé à remplacer le système classique » ainsi que destiné à « poser un fondement solide pour les procédés ‘intuitifs’ de composition ». Il poursuit alors plusieurs années durant des efforts visant à élaborer un système à la fois suffisamment cohérent et praticable. L’influence des accords synthétiques de Scriabine y est alors encore notable, comme en témoigne son troisième quatuor à cordre. C’est également l’époque ou lors d’une visite de Schönberg, Roslavets entendra son second quatuor à cordes; cette œuvre ne lui laissera qu’une « impression abracadabrante » confie-t-il. C’est donc de manière parfaitement autonome qu’il élabore son propre système, ce qui ne l’empêchera pas d’être souvent, à tort, qualifié de « Schoenberg russe ». À la fin des années vingt, Roslavets, est dénoncé comme saboteur et ennemi du peuple et doit s’exiler à Tachkent, où les autorités locales l’obligent à écrire un ballet vantant la culture du coton. En 1939, il souffre d’une première paralysie, due à un accident cardiaque. À sa mort en 1944, toutes les archives le concernant sont saisies par les autorités. Elles resteront inaccessibles jusqu’en 1988. De nombreuses œuvres musicales sont ainsi définitivement perdues, dont plusieurs œuvres majeures, dont en particulier : un poème symphonique composé sur un texte de Baudelaire, La Fin du monde (1919), une Symphonie de chambre (1934) et plusieurs partitions de musique de chambre. La plupart des œuvres qui nous sont parvenues furent éditées par les éditions Schott avec l’aide de la musicologue Marina Lobanova. Le violoncelliste russe Alexandre Ivashkine enregistrera l’intégrale des sonates pour violoncelle et piano.

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Ivan Wyschnegradsky

Ivan Wyschnegradsky, peint par Hélène Bénois, sa femme, en 1923.

Ivan Wyschnegradsky (Иван Александрович Вышнеградский), né à Saint-Pétersbourg le 4 mai 1893. À dix-sept ans, il étudie l’harmonie, la composition et l’orchestration avec Nicolas Sokolov, professeur au conservatoire, lui-même élève de Rimsky-Korsakoff. Cependant celui qui a marqué son œuvre, celui qu’il considère comme son maître spirituel, est Alexandre Scriabine. Sa jeunesse est immergée dans la chaleureuse atmosphère de Saint-Pétersbourg, où règne le symbolisme du tournant du siècle, enflammé par Nietzsche et Wagner, la découverte des hymnes védantiques, la théosophie et les spéculations sur la quatrième dimension. Un monde qui reste ouvert à tous les courants d’avant-garde, futuristes ou constructivistes. En février 1917 il s’enthousiasme, comme toute la jeunesse, pour la révolution. Il en restera une suite de chants révolutionnaires, L’Évangile rouge, pour baryton et piano. Il a vécu à Paris de 1920 jusqu’à sa mort en 1979. Admiré par de nombreux compositeurs, parmi lesquels on peut citer Olivier Messiaen, Henri Dutilleux, Bruce Mather, Alain Bancquart et Claude Ballif, Ivan Wyschnegradsky est reconnu par le monde musical comme un des pionniers de la musique du XXème siècle.

Après ses études au  Premier lycée classique de Saint Pétersbourg et son baccalauréat, Wyschnegradsky entre à la Faculté de mathématiques de l’université de Saint Pétersbourg . Il suit les cours d’harmonie, de composition et d’orchestration (1911–1915) auprès de Nikolaï Sokolov, professeur auConservatoire de Saint Pétersbourg . À partir de 1912, il entre à la faculté de droit. En 1916, il compose son œuvre majeure : la Journée de Brahma, qui deviendra la Journée de l’Existence, pour récitant, grand orchestre et chœur mixte ad libitum. En 1917, à la veille de la révolution, il termine ses études de droit. En novembre, son père est arrêté. Ivan adhère à l’idéal de la révolution russe et compose l’Évangile rouge, opus 8. En 1919, il élabore son premier projet de notation des douzièmes de ton. L’année suivante, il émigre à Paris, se marie avec la fille de l’architecte, décorateur Alexandre Benois en 1923. La maison Pleyel lui fabrique un piano à transmission pneumatique qui ne le satisfait pas entièrement (1921). Il souhaite faire construire un vrai piano à quarts de ton et pense qu’il ne peut le faire qu’en Allemagne. Il commande un piano à quarts de ton chez Foerster (1927).

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Piano en quarts de ton d’Ivan Wyschnegradsky réalisé par A. Förster
(actuellement au Musée instrumental de Bâle, Suisse)

Le quatuor Vandelle crée le Prélude et fugue, opus 15. En 1929, le piano Foerster arrive à ParisIl publie le Manuel d’harmonie à quarts de ton (1932) et compose les Vingt-quatre préludes dans tous les tons de l’échelle chromatique diatonique à treize sons, pour deux pianos à quarts de ton (1934). Le 25 janvier 1937, à un concert entièrement consacré à sa musique, il rencontre Olivier Messian, puis plus tard Henri Dutilleux et Claude Ballif. Il enregistre le mouvement lent de la symphonie Ainsi parlait Zarathoustra pour quatre pianos à quarts de ton. En 1942, il est arrêté par les Allemands et transféré à Compiègne où il reste deux mois. Sa femme, de nationalité américaine, est arrêtée et transférée à Vittel. Le 11 novembre 1945, Gisèle Peyron et Mady Sauvageot, sopranos, Lili Fabrègue (alto), Yvette Grimaud, Yvonne Loriod, Pierre Boulez et Serge Nigg, pianos donnent un concert d’œuvres de Wyschnegradsky. Atteint de tuberculose, il séjourne au sanatorium de St Martin-du-Tertre. André Souris donne en première belge, la symphonie Ainsi parlait Zarathoustra pour quatre pianos en quart de ton, (Bruxelles, 14 février 1947), enregistré au disque dès 1938 parMonique Haas. Pierre Boullez, Yvette Grimaud, Claude Helffer et Ina Marika donnent en création le Deuxième fragment symphonique, opus 24 (Paris, 28 novembre 1951).La Revue musicale publie un numéro spécial sur Ivan Wyschnegradsky et Nicolas Oboukhov. En 1977, Martine Joste organise un grand concert à Radio-France. Au Canada, Bruce Mather fait de même. En 1978, Alexandre Myrat, à la tête de l’Orchestre Philarmonique de Radio-France, crée la Journée de l’Existence. Il est invité par le DAAD comme compositeur en résidence à Berlin.

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Il ne peut s’y rendre pour des raisons de santé. Radio-France lui commande un trio à cordes. Il meurt le 29 septembre 1979, à l’âge de 86 ans. Plus de renseignements sur lui:(CLIQUEZ)

Auditorium Bernanos (entre magasin Printemps et gare St Lazare)

4 rue du Havre 75009 Paris

Métro: Havre-caumartin, St Lazare

Tarifs: 5€ à 15€

Billeterie: 01 64 01 59 29