Rétrospective des films de Kira Mouratova

Du mercredi 25 septembre

au dimanche 20 octobre 2019

Cinémathèque française, Paris

Jeudi 26 septembre à 19h

Conférence d’Eugènie Zvonkine, “Qui ètes vous …. Kira Mouratova ?”

Eugènie Zvonkine est née en 1979 à Moscou, vit et travaille en France, elle est historienne, chercheuse, critique de cinéma, spécialiste du cinéma soviétique, russe et ukrainien. Après avoir présenté sa thèse de doctorat à l’Université de Paris 8 en 2009 elle devient maître de conférence et chargée de cours  en cinéma et audiovisuel auprès de cette même université.

 

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Réalisatrice sans concession, irréductible créatrice de formes cinématographiques toujours surprenantes, figure marquante du cinéma soviétique et post-soviétique des années 60 jusqu’au XXIe siècle, Kira Mouratova réussit à résister dans des contextes aussi divers que difficiles, traverse la fin de l’ère soviétique, l’entre-deux de la perestroïka puis les premières décennies post-soviétiques et l’effondrement de l’industrie cinématographique. Ses derniers films sont produits avec le soutien du ministère de la culture d’Ukraine.

Née d’un père russe et d’une mère roumaine en 1934, Kira Korotkova (de son nom de jeune fille) étudie à l’Institut soviétique du cinéma, le VGIK, puis s’installe à Odessa, en Ukraine, où elle suit son premier mari, l’ukrainien Alexandre Mouratov. Avec lui, elle réalise trois premiers films (deux courts et Notre pain honnête en 1964), puis, seule, Brèves rencontres.

 

Son style s’impose d’emblée : une vraie liberté de ton, une narration déconstruite à travers une série de flash- back et une franche prédilection pour le décadrage.

Avec Les Longs adieux (1971),

En découvrant le vaste monde (1979),

Parmi les pierres grises (1983),

Mouratova se pose en chantre des subjectivités et des êtres désaccordés : dans ses films, les femmes et les hommes, les parents et les enfants, les enseignants et les élèves, même les amis ont du mal à se comprendre ; les personnages soliloquent dans des « monologues dialogués ».

Pourtant, le regard qu’elle porte sur l’humanité se teinte de générosité : tout risible qu’il soit, chacun a droit à son moment, lorsque la caméra abandonne la trame narrative et s’attarde sur lui, le laisse se raconter et se montrer sous son meilleur jour. Chacun, y compris le personnage joyeusement antipathique de la CPE hystérique dans Le Syndrome asthénique.

Le cinéma de Mouratova explore ainsi les passions et les obsessions individuelles. Il déborde de personnages saisis d’une douce (ou moins douce) folie : la circassienne des Petites passions (1993) qui apprend l’équitation, ou Micha, qui collecte les objets perdus dans Les Gens secondaires (2000).

Dans Les Motifs tchékhoviens (2001), chacun tient obstinément sa place dans les conflits qui l’opposent aux autres. Dans Trois histoires (1996), les obsessions se font plus morbides : il s’agit de se débarras- ser des gêneurs ou bien de se venger d’un trauma originel.

C’est aussi un cinéma du trop-plein, où le réel apparaît sous forme de blocs d’images, de sons, de répliques qui viennent s’entrechoquer sans jamais s’accorder parfaite- ment. La musique et le plan sont toujours interrompus, et le spectateur est embarqué dans un voyage perceptif étonnant, qui interroge sans cesse ses habitudes et son horizon d’attente. En travaillant de cette manière, Mouratova cherche constamment à inventer de nouvelles normes esthétiques.

Pourtant, son œuvre est également traversée par une volonté d’harmonie : les êtres désaccordés cherchent à se rencontrer et à s’unir malgré le chaos qu’ils habitent et qui les habite. Certains de ses films renvoient ainsi aux contes, optimiste avec Le Milicien amoureux (1992), ou rendu impossible par la société cynique dans Mélodie pour orgue de barbarie.

ENTRE THÉÂTRALITÉ ET BRUTALITÉ DU RÉEL

Kira Mouratova installe une tension permanente entre réel et théâtralité. Fascinée par la frontalité du théâtre, elle travaille la performance de ses acteurs, qu’elle compare volontiers, pour le rythme et la sonorité, à des airs d’opéra. En même temps, la cinéaste aime improviser et travailler avec la matière du réel, ou ce qu’elle appelle « la résistance du réel », en confrontant, entre autres, acteurs professionnels et non professionnels. Dans Changement de destinée (1987), l’héroïne, qui joue une partition sans faille face aux enquêteurs, est enfermée à côté d’un tigre échappé d’un zoo.

Deux en un (2006) commence sur une scène de théâtre et s’appuie sans cesse sur l’ambigüité entre dispositif théâtral et mise en scène cinématographique.

Dans L’Accordeur, Nastroyshchic(2004),

les charmants arnaqueurs vivent, quant à eux, dans le grenier d’un théâtre, au milieu des costumes et des accessoires.

REFRAINS SÉRIELS

Autres motifs récurrents de l’œuvre mouratovienne : la reprise et la répétition. Elle, qui aurait aimé fonder une société de conservation et de réutilisation de chutes de films, s’amusait souvent à laisser dans son montage plusieurs prises d’un même plan. Principe présent dès ses premiers films, il se déploie particu- lièrement dans son œuvre post-soviétique.

Le cinéma de Mouratova parle du monde, mais aussi du cinéma. Dans son tout dernier film, L’Éternel retour (2012), un producteur projette des rushes d’un film inachevé où la même scène est rejouée par divers acteurs, laissant le spectateur savourer variations et répétitions ad libitum – puisque le film n’est pas fini et ne le sera jamais.

Cette dernière œuvre résume et condense merveilleusement le style de Mouratova, son univers baroque, sa mise en scène qui sait être vertigineuse même entre quatre murs, et son regard sans illusion sur l’art et le monde : comme dans Le Syndrome asthénique, ici aussi, l’art échoue à changer le monde. EUGÉNIE ZVONKINE

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En 1936, Henri Langlois, cinéphile et visionnaire, crée La Cinémathèque française afin de sauver de leur destruction les films, costumes, décors, affiches et autres trésors du cinéma. Il est alors le premier à considérer le cinéma comme un art à conserver, restaurer et montrer.

Huit décennies plus tard, dans un bâtiment résolument moderne entièrement dédié au 7ème art, La Cinémathèque française dévoile le cinéma de manière unique grâce à ses nombreuses activités et l’une des plus importantes collections de cinéma au monde.

Véritable carrefour des cinéphilies, elle revisite en permanence le cinéma à travers toutes les époques, tous les horizons et tous les genres. Elle permet ainsi aux spectateurs d’y faire de belles découvertes cinématographiques et à la jeune génération d’y côtoyer au quotidien l’histoire du cinéma.

Conçu en 1993 par Frank Gehry, célèbre architecte du Musée Guggenheim de Bilbao et de la Fondation Louis Vuitton à Paris, le bâtiment abrite La Cinémathèque française depuis 2005.

 

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CINÈMATHÈQUE FRANÇAISE

51 Rue de Bercy, 75012 Paris

Tél : 01 71 19 33 33

Métro : Bercy Lignes, 6, 14
Bus : 24, 64, 87.